23.1.09

Leya

Les rires retentissaient encore, malgré leur essouflement. Dans la nuit gelée, leur pas de course glissait au sol et leurs ombres sur les murs. Les flammes étaient si vives. C'était sûrement la plus belle chose qu'ils aient jamais vue. Mais Leya ne s'était pas retournée une seule fois. Elle ne riait pas. Elle n'était pas très douée pour ça. Et d'ailleurs elle n'avait pas allumé ce feu pour s'amuser. Ses "petits camarades", pourtant, s'en étaient donnés à coeur joie. Pourquoi avait-elle fait ça, au juste ? Ils n'étaient pas spécialement méchants, à l'orphelinat. Secs, bien sûrs. Mais ils avaient beaucoup de travail. Violents, évidemment. Mais ces petits monstres le méritaient bien. Non, elle n'éprouvait aucune haine, à cet instant précis. Elle courait, droit devant.

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L'aube était proche, et le sang était chaud sur ses lèvres. La douleur réchauffait son corps sans sommeil, et elle s'élança sur son ancien compagnon de chambre. Pourquoi se battaient-ils ? Elle avait déjà oublié. Ils avaient mis tellement de temps à élaborer soigneusement leur plan. Qui allumerait quoi et où. Ils étaient devenus presque amis. Oui, ils avaient même ri ensemble. Mais Leya n'est pas douée pour avoir des amis. Seulement 10 ans et déjà la fierté d'un lion. Qu'ils aillent au diable. Qu'ils aillent tous au diable. Après avoir enfoui son assaillant dans le sang et la neige, les poings meurtris et les yeux furieux, elle dissuada d'un regard les autres d'avoir l'audace de la défier. Ils ramassèrent leur compère, et la laissèrent seule. Bon débarras. Elle ne les hait pas vraiment. C'est son coeur qui bat trop vite, c'est tout. Elle n'est pas vraiment triste. C'est juste le froid qui lui serre le coeur. Oui, ça doit être ça.

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Il est midi et elle a mal aux pieds. Un peu faim, aussi. Mais ça n'avait pas vraiment d'importance. Car il avait tellement neigé, cette nuit-là, que toute la ville avait été recouverte. Et ses yeux bleus s'émerveillaient de cette pureté. Qui craint la faim ? Qui craint la douleur ? Qui craint le désespoir face à tant de beauté ? Qui craint l'avenir ? Qui craint la solitude quand le ciel est descendu sur terre ? Et ses petits pas d'enfants traçaient un sillon dans les ruelles tandis qu'elle errait au hasard, et ses grands yeux savouraient chaque seconde la poésie simple des flocons de neige.

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Mais la nuit fut froide et mordante. Réfugiée sous un préau, Leya fixait sans plus la voir la mosaïque blanche sur ce voile noir. Il fallait qu'elle lutte, mais elle n'avait plus la force. Le gel enfonçait mille aiguilles dans ses membres, et l'engourdissement plus que le sommeil la gagnait. Allait-elle se réveiller, demain matin ? Et si elle mourait...Qui la pleurerait ? L'enterrerait-on ? Qui viendrait à la cérémonie ? Qui verserait une larme pour elle ? Qui se souviendrait d'elle ? Peu importait le froid. Elle n'avait jamais connu la chaleur. Elle n'avait jamais ri sincèrement avec qui que ce soit. Personne ne l'avait jamais serrée dans ses bras. Jamais elle n'avait eu de maison. Bien sûr elle avait eu un toit. Mais aucun foyer. Elle n'était pas malheureuse, là-bas. Mais elle n'avait jamais été heureuse. Nulle part. Elle avait tellement froid...Elle ne se réveillerait sûrement pas, demain matin. Elle allait mourir entre un carton et un frigidaire cassé, enveloppée dans un vieux sac plastique. Et personne n'en saura jamais rien.

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Personne ne l'avait jamais aimée...Mais...Peut-être l'aimerait-on un jour ? Peut être un jour serait-elle importante pour quelqu'un ? Et quelqu'un la pleurerait lorsqu'elle mourrait ? Mais où ? Mais quand ? Elle avait si froid, si faim, si sommeil...Mais elle ne saura pas si elle meurt là. Elle se redresse. Et, lentement, se relève. Ses pieds sont si engourdis qu'elle a l'impression de marcher sur des lames de rasoirs. Mais elle avance. Le froid la blesse, la faim la tenaille, mais elle avance de plus en plus vite. Elle court, droit devant. Elle court, toute la nuit durant. Elle pleure, parce qu'elle a mal. Elle pleure, parce qu'elle est seule. Mais elle court vers demain.



Polymorphe

1 commentaire:

  1. j'ai pensé à une des chansons d'Aaron en listant le titre, j'ai été donc, toute empreinte de la mélodie en lisant.

    Un cônte à la petite fille aux allumettes dépourvue de niaiseries, un réalisme sous fond d'un peu de poésie, qui reste tranchant.

    "Leya fixait sans plus la voir la mosaïque blanche sur ce voile noir." j'ai beaucoup aimé cette phrase aux interprétations multiples.

    Par contre, j'ai la sensation d'un inachevé, d'un racourci.
    Alors j'espère qu'il y aura une suite !

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