25.10.09

Une sandale

Marc-Aurèle :

L'air froid lui brûlait la gorge ; ses pieds dégoulinaient de sueur et de sang. Et plus son corps était douloureux, plus son esprit se vidait. Alors il continuait à courir.

Il sentait à présent les graviers envahir ses semelles et les flaques de boue inonder ses orteils. Il ne s'en soucia pas. Pas plus qu'il se souciait d'où ce virage allait l'emmener, ou quel village il venait de traverser. Il pensait de moins en moins, pour aller plus loin.

Sa faim, sa fatigue et le brouillard avaient achevé ses dernières pensées. Il ne courait plus, il trottinait. Pas heureux, mais soulagé. Car il était assez loin, maintenant. Et surtout, il était seul. Et enfin, il était libre.

Jusqu'à ce qu'il heurta je-ne-sais-quoi, et se retrouva face contre terre. Un instant passa, avant qu'il ne se rende compte que le sang envahissait son nez, et que ses crampes lui interdisaient tout mouvement. Il paniqua, car ce qu'il redoutait arriva :

Pourquoi ? Injuste. Bordel. Si seulement. Et après ? Je ne veux pas. Merde. Pas moi. Raté. Fait chier. Plus maintenant. Encore. Dépêche-toi. Jamais. S'il te plaît. Laissez-moi tranquille !

Il se souleva à l'aide de ses bras. Le sang jaillit de son nez. Il ne voulait pas se souvenir. Il posa un pied au sol. Surtout pas de leurs visages satisfaits. Il s'embourba. De ses tapes dans le dos et de son « Ça c'est mon fiston ! » rébarbatif. Il s'appuya sur ses genoux. De l'envie dans les regards de ses camarades. Ses semelles furent avalées par la boue. De ces sourires creux dans ces salles à manger trop dorées. Il avança un pied. De ses longs cheveux d'or. Il se redressa. Tous les je t'aime qu'elle lui murmurait et que, machinalement, il rendait. Il avança l'autre pied. La bague. Il se remit à marcher. Qu'il venait de jeter dans la Seine. Il reprit sa course.

Tel Jason au pied nu. Mais sa toison n'était pas d'or. Il était las des richesses, et même des plus belles princesses. C'était le premier chapitre de sa grande épopée.


Le Monde :

Le Monde – 26 juillet 2002.

Rubrique Faits Divers.

L'étrange disparition d'un jeune héritier.

Fugue ou enlèvement ? Toujours sans nouvelles deux semaines après la disparition du jeune homme de 22 ans.

L'enquête stagne sur la mystérieuse disparition de Marc-Aurèle Kabeya de Bussy. Le fils unique du directeur des programmes de France Télévisions Gustave de Bussy, et de la députée Saône et Loire Nassira Kabeya, a été vu pour la dernière fois le 12 juillet au soir. Selon ses proches, il venait tout juste de demander la main de sa compagne, Natacha Lambroise, fille des premiers producteurs de Cognac de France. L'hypothèse de la fugue – ou, même, du suicide – serait donc invraisemblable pour les enquêteurs qui se penchent sur la piste du kidnapping. Cependant, le majordome, dernière personne à l'avoir vu, confirme qu'il était bien rentré ce soir là. Hors, il n'y a ni trace de lutte ni de violence à son domicile, et aucune rançon n'a encore été réclamée à la famille. Les parents éplorés ont donc lancé un appel à témoignages et promettent d'offrir une récompense à quiconque donnera un renseignement susceptible de faire avancer l'enquête.


Ara :

S'il y avait bien une chose qu'elle détestait, c'était prendre le métro. Heureusement ça n'arrivait pas souvent, mais il y avait des fois où leur chauffeur était trop occupé, et comme ses parents lui interdisaient toujours de prendre la voiture après son dernier accident...alors que ce n'était même pas de sa faute !

Néanmoins, pour une fois, elle n'avait pas le choix. Cette puanteur était insupportable. Et certains gens lui faisaient vraiment peur. Surtout ces derniers temps, avec tous ces maniaques...Dieu merci, il y avait des patrouilles.

A contrecœur, elle s'engouffra dans la rame bondée, tentant d'ignorer les jeunes noirs encapuchonnés, les vieillards édentés et les femmes rasées en survêtement. Elle pianotait sur son portable distraitement. Elle relut ses messages. Son cœur se serra en revoyant le « On se voit ce soir ? J'ai un cadeau pour toi. », qui datait maintenant de plus d'un mois. Elle réprima une larme en parcourant ses photos. Où pouvait-il bien être ? Ils ne l'avaient toujours pas retrouvé. Même pas une piste, alors qu'ils avaient investi tant d'argent, et même fondé une association. C'était une honte...Elle ne savait même pas s'il était en vie. Et s'il l'était, il devait être en grand danger pour ne pas revenir. Car après tout, il reviendrait pour elle, non ? Tout allait si bien, ils allaient même se marier. Mais à propos, où pouvait bien être cette bague ?...

Les portes s'ouvrirent enfin, et elle se débattit pour s'extirper de la marée humaine. Ce n'était pas encore fini, elle devait encore s'échapper du dédale des tunnels bondés. En évitant soigneusement les déchets divers et les journaux qui lui volaient à la figure, elle commença à entendre une chanson. Ça ne semblait pas provenir d'une radio. Après un autre virage, elle vit ce qu'elle redoutait ; encore un clochard. Tant pis, elle n'avait pas le choix, elle l'éviterait du mieux qu'elle pouvait. Le pire, c'est qu'il n'avait pas l'air vieux, avec ses fanfreluches colorées. Et c'était une chanson qu'elle connaissait. Qu'elle aimait beaucoup, même. Et il la chantait très bien. Lorsqu'elle voulut l'éviter, elle se trouva en fait incapable de détacher son regard de lui.
En effet il était jeune : son âge, sûrement. La peau brune, assombrie par sa saleté. Des dizaines de mèches de toutes les couleurs lui tombaient sur le visage, d'autres étaient dressées en l'air. Et lorsqu'elle arriva devant lui, elle croisa son regard. Ces pupilles noires comme des scarabées. Elle les connaissait trop bien. Tout était là, ces yeux, ce nez, ce visage. Et pendant une fraction de seconde, il était revenu. Ce qui vint tout gâcher, fut un sourire. Un sourire qu'elle n'avait jamais vu. Un sourire éclatant, qui vint déformer le visage qu'elle aimait. Et il continua sa chanson, l'air heureux.

Non, ça ne pouvait pas être lui. Elle avait dû rêver.

Les semaines suivantes, les affiches et les avis de recherches pour Marc-Aurèle Kabeya de Bussy se firent plus rares, jusqu'à être complètement oubliées, et l'association fut fermée. Les mois suivants, un jeune sans-abri, communément surnommé Ara, continua de chanter gaiement dans le métro Parisien.



Note : J'ai écrit la première partie de ce texte pour un exercice d'écriture de scénario à l'école, il fallait s'inspirer de peintures de Magritte. Ensuite nous avons transformé nos textes en scripts puis en story boards. Comme j'ai terminé en avance, j'ai écrit les deux autres parties pour rejoindre l'histoire d'un personnage que j'avais en tête il y a longtemps, mais que je n'avais jamais concrétisé, pour en faire un petit conte moderne. J'espère que ça vous a plu.

28.7.09

Carnaval


Et j’ai pour horizons des marais assoupis,

Où les plumes volées des anges heureux tombent

Comme des poux à la mer.

Ni la nuit, ni l’hiver ne m’envient leur langueur,

Et pourtant.


C’est en eaux mornes que mon cœur a grandi,

Offrant chaque nuit son opium aux déments,

Buvant avec eux comme un soleil gâché.


Ah !

Qu’il est doux le baiser de ses bras, décharnés

A brasser la poussière,

A n’aimer que la terre !


J‘ai pour horizons des rêves plombés par la fièvre lente de mon astre déchu.

Mon cœur s’affuble d’un monstre sacré qui brille sur l’océan des masques vierges.

Que le chemin est long !

Rapace ! Je suis ton paradis.



Sineptie


29.6.09

Grande Guerre


« Vieillebranche, Louis !??
- Présent !! » que j'dis au sergent instructeur.
- C'est quoi cette dégaine Vieillebranche? On vous a pas mis au parfum?! Ici c'est pas les Folies Bergères srogneugneu! Va falloir que vous adaptiez et vite! Vous êtes crasseux et mal fagoté, si le général passe, vous êtes bon pour le tourniquet et ca sera bien fait pour vot' pomme!!! Capiche?
- M'sieur oui, m'sieur je réponds au vieux ».

Ca, ça arrivait tout les jours. Et ca allait durer 6 mois comme ça. Avant le feu, faut bien s'entraîner. S'entraîner à clamser? A survivre plutôt. Au front, ta clarinette « Lebel » made in St-Etienne, c'est ton assurance vie. Autant apprendre a s'en servir voyez-vous... Mais les boches étaient logés a la même enseigne. Pas de jaloux.
La formation qu'ils appelaient ça. Une vieille utopie, ils pensent que six mois de caserne en Normandie fera de nous des guerriers. On apprend sur le tas, pis v'la tout. Là, les vieux nous mettraient presque au mitard ou en cour martiale pour 3 poils de barbe en trop ou un complet mal taillé.
Dans les rangs, pas question de moufter, c'était dur, on ne plaisantait pas. Transformer les boches en passoire, ca méritait un apprentissage sérieux et appliqué disaient-ils... Pour la becquetance, on avait de la chance parait-il. On était plus mal nourris que chez nous, mais encore trop bien par rapport à ce que les gars du feu devaient ingurgiter. Fayots pourris, pinard de soldat... un menu de luxe comparé à la bouillie de boue, de sueur des tranchées de la Marne...

Les seuls bons moments que j'ai vécu dans cette formation, c'était les cibiches qu'on fumait le soir, dehors, après le diner. On se disait tout avec les autres gars. Nos cailles, nos enfants, la vie qu'on menait, à Clermont-Ferrand pour les uns, à Marseille pour d'autres. Et puis on pensait à la guerre. On allait bientôt la voir de près c'te guerre. On en causait.

« - Moi j'vous parie qu'en 6 mois on aura plié l'affaire ! Les boches, y font pas le poids, eux, l'arrosoire 75, ils l'ont pas ! » Disait un compatriote parigot.
- Ca va pas durer, la paix, ca sera pour bientôt... » ajouta un très naïf p'tit étudiant nantais...

Si on avait tous notre petit avis, on avait tous la frousse. Peur de finir la gueule en sang au premier assaut. Peur de laisser nos gonzesses seules avec les gniards, avec pour tout salaire, les oboles du ministère et le respect des bons bourgeois... Cette peur, elle se mélangeait avec un sentiment de devoir. La guerre, c'est notre turbin, la France, c'est notre taulier. C'est pour elle qu'on devait mourir. On était pas naïfs. On y allait parce que sinon, 12 pruneaux dans la couenne. Mais bon, certains, un peu lyriques -et donc un peu cons-, palabraient sur « la mission civilisatrice », ou en « les boches barbares qu'il fallait repousser, comme on repoussa les Huns ». Drôles d'idées...

Puis un jour, faut y aller. On nous appelle. Les noms sont beuglés à la queue-leu-leu par le gradés. On imagine a peine que peut-être dans 6 mois, les mêmes noms seront prononcés par le curé et le maire du bourg, précédés d'un laconique : « Mort pour la patrie »...

On saute tous dans la camions, qui nous emmène au boulot, là ou les choses sérieuses se passent. On fait pas les fierrots. On sait qu'on va souffrir. On regarde tous cette caserne s'éloigner au loin. Certains s'en roulent une pour se calmer et oublier. D'autres peuvent pas retenir leurs larmes.

La fleur au fusil?
La trouille au ventre.





Frank Jess

Notes : pour mon premier texte sur "Les Cris", j'ai décidé de faire un texte sur la Première Guerre Mondiale. Loin d'un quelconque pacifisme bêlant et pleurnichard, ce texte est, quelque part, un hommage a Henri Barbusse. A titre informatif, il s'agit de mon premier texte purement littéraire, et je ne réclame aucune indulgence...


22.6.09

La Mer et la boîte à thé

« Un froid glacial qui me comprime l'intérieur, lorsque le feu dévore mon ventre. Comme si mon propre corps se révoltait du périple accompli, comme s'il s'insurgeait sur ce dernier geste…»

La Mer et la Boite à Thé par Cidiène.pdf

Il suffit d'ouvrir, d'avoir adobe ou assimilé, et de lire !

Notes :
Hélas, comme bien souvent, j’ai attendu la dernière minute, le dernier instant avant de m’y atteler vraiment. Si j’avais pris le temps de réflexion, je n’ai eu que deux jours pour la réalisation. Ainsi, dans l’urgence, elle germa, près de l’eau et dans une boite, sans être ni correctement relu ou vraiment corrigée, juste envoyée, à la volée. La Nouvelle ne remporta aucun prix, seulement le mien, d’être la première aboutie (même si elle n’était pas réellement achevée) que j’osais montrer à d’autres. Elle est dédiée à …

Lisez-la, vous comprendrez.

Cidiène

12.2.09

Une vérité

Il est un univers que seuls ceux qui ont été touchés par les anges sont capables d’entrevoir. Un univers coloré, où se mêlent les parfums printaniers et les exhalaisons de cadavres putréfiés. Aux doux souvenirs de clameurs enfantines succèdent les chimères d’une vieillesse consommée, à moins que ce ne soit l’inverse.
Rares sont les élus du divin qui parviennent un jour à écourter l’entrevue pour enfin connaitre la vue. Car le chemin qui mène à la pleine conscience de cet univers est soumis à un obstacle dont les serpes étreignent les assaillants jusqu’à l’oubli.


L’oubli de soi, l’oubli de l’essence des hommes : La folie.


A ceux qui comme moi sont parvenus de l’autre coté, je dédis ces quelques lignes. Plus qu’un testament ésotérique, elles présentent mon parcours, mon existence dans un monde bipolaire. Et la manière avec laquelle j’ai apprivoisé ma propre folie, pour offrir aux hommes un semblant de vérité.


Zarahel


P.S : Cet essais représente en réalité l'introduction au développement d'une image, d'une idée apparue au milieu de la nuit. Il est principalement destiné à alimenter l'esquisse d'un personnage sur lequel je travaille depuis quelques temps, Ksi. Mais le texte se suffit à lui-même, et je doute d'être en mesure d'en fournir une suite aussi convaincante à mes yeux. Pour le plaisir de la réflexion, avant tout

6.2.09

Droguée de Romance

Je suis accro à l'eau de rose,
Droguée à l'amour et à l'eau fraîche,
Toute dingue de Happy Ends,
Folle furieuse de fleur bleue,
Complètement camée aux coups de foudre,
Vraie junkie de cajoleries.

Mon dealer c'est Disney,
J'passe aussi au marché des contes de fées,
Mais si j'suis vraiment en manque,
J'me fais un fix sur les téléfilms du samedi.

Chuis shootée aux chatouillis,
Aux p'tits coeurs, aux p'tites fleurs et même au générique d'Heidi,
Niaise comme pas deux quand j'ai ma dose de ciel bleu,
Je me saoule aux bisous dans le cou,
Je bad trip sans mes étreintes,
Sans arrêt sous substances gnan-gnan,

En mode Free Hugs permanent,
En perpétuelle alerte pour un peu d'attention,
Je veux vous toucher, vous embrasser et plus vous lâcher,
M'enivrer, me laisser aller, me faire submerger,

Mourir d'overdose d'amour.




Polymorphe

23.1.09

Leya

Les rires retentissaient encore, malgré leur essouflement. Dans la nuit gelée, leur pas de course glissait au sol et leurs ombres sur les murs. Les flammes étaient si vives. C'était sûrement la plus belle chose qu'ils aient jamais vue. Mais Leya ne s'était pas retournée une seule fois. Elle ne riait pas. Elle n'était pas très douée pour ça. Et d'ailleurs elle n'avait pas allumé ce feu pour s'amuser. Ses "petits camarades", pourtant, s'en étaient donnés à coeur joie. Pourquoi avait-elle fait ça, au juste ? Ils n'étaient pas spécialement méchants, à l'orphelinat. Secs, bien sûrs. Mais ils avaient beaucoup de travail. Violents, évidemment. Mais ces petits monstres le méritaient bien. Non, elle n'éprouvait aucune haine, à cet instant précis. Elle courait, droit devant.

-=-

L'aube était proche, et le sang était chaud sur ses lèvres. La douleur réchauffait son corps sans sommeil, et elle s'élança sur son ancien compagnon de chambre. Pourquoi se battaient-ils ? Elle avait déjà oublié. Ils avaient mis tellement de temps à élaborer soigneusement leur plan. Qui allumerait quoi et où. Ils étaient devenus presque amis. Oui, ils avaient même ri ensemble. Mais Leya n'est pas douée pour avoir des amis. Seulement 10 ans et déjà la fierté d'un lion. Qu'ils aillent au diable. Qu'ils aillent tous au diable. Après avoir enfoui son assaillant dans le sang et la neige, les poings meurtris et les yeux furieux, elle dissuada d'un regard les autres d'avoir l'audace de la défier. Ils ramassèrent leur compère, et la laissèrent seule. Bon débarras. Elle ne les hait pas vraiment. C'est son coeur qui bat trop vite, c'est tout. Elle n'est pas vraiment triste. C'est juste le froid qui lui serre le coeur. Oui, ça doit être ça.

-=-

Il est midi et elle a mal aux pieds. Un peu faim, aussi. Mais ça n'avait pas vraiment d'importance. Car il avait tellement neigé, cette nuit-là, que toute la ville avait été recouverte. Et ses yeux bleus s'émerveillaient de cette pureté. Qui craint la faim ? Qui craint la douleur ? Qui craint le désespoir face à tant de beauté ? Qui craint l'avenir ? Qui craint la solitude quand le ciel est descendu sur terre ? Et ses petits pas d'enfants traçaient un sillon dans les ruelles tandis qu'elle errait au hasard, et ses grands yeux savouraient chaque seconde la poésie simple des flocons de neige.

-=-

Mais la nuit fut froide et mordante. Réfugiée sous un préau, Leya fixait sans plus la voir la mosaïque blanche sur ce voile noir. Il fallait qu'elle lutte, mais elle n'avait plus la force. Le gel enfonçait mille aiguilles dans ses membres, et l'engourdissement plus que le sommeil la gagnait. Allait-elle se réveiller, demain matin ? Et si elle mourait...Qui la pleurerait ? L'enterrerait-on ? Qui viendrait à la cérémonie ? Qui verserait une larme pour elle ? Qui se souviendrait d'elle ? Peu importait le froid. Elle n'avait jamais connu la chaleur. Elle n'avait jamais ri sincèrement avec qui que ce soit. Personne ne l'avait jamais serrée dans ses bras. Jamais elle n'avait eu de maison. Bien sûr elle avait eu un toit. Mais aucun foyer. Elle n'était pas malheureuse, là-bas. Mais elle n'avait jamais été heureuse. Nulle part. Elle avait tellement froid...Elle ne se réveillerait sûrement pas, demain matin. Elle allait mourir entre un carton et un frigidaire cassé, enveloppée dans un vieux sac plastique. Et personne n'en saura jamais rien.

-=-

Personne ne l'avait jamais aimée...Mais...Peut-être l'aimerait-on un jour ? Peut être un jour serait-elle importante pour quelqu'un ? Et quelqu'un la pleurerait lorsqu'elle mourrait ? Mais où ? Mais quand ? Elle avait si froid, si faim, si sommeil...Mais elle ne saura pas si elle meurt là. Elle se redresse. Et, lentement, se relève. Ses pieds sont si engourdis qu'elle a l'impression de marcher sur des lames de rasoirs. Mais elle avance. Le froid la blesse, la faim la tenaille, mais elle avance de plus en plus vite. Elle court, droit devant. Elle court, toute la nuit durant. Elle pleure, parce qu'elle a mal. Elle pleure, parce qu'elle est seule. Mais elle court vers demain.



Polymorphe

21.1.09

Le Prix d'une Etoile


I



C’est une nuit tiède à la brise légère, rafraîchissant juste ce qu’il faut pour ne pas sentir la sueur couler sur la peau.
La radio annonce qu’il pleuvra bientôt une nuée d’étoiles, garante de milliers de souhaits d’hommes et de femmes osant à peine rêver...
Certaines, résidus d’anciens systèmes, ne feront que disparaitre dans l’atmosphère. D’autres, plus chanceuses, continueront leurs routes aux sillages d’éphémère.
Le voile nocturne s’étend doucement, sous le vrombissement acharné des cigales, peu ébranlées par la sérénade éclatant au ciel. La nuit laissera s’attarder les rayons du soleil, comme tolérant les dernières pirouettes du jour, son rival… avant de lancer sa propre apothéose à elle, sans égale.
En cette valse tourbillonnante de lumière, je me sentais d’un coup, le maillon solide de ce brillant univers. J’avais ma part d’illusions et d’artifices, il me fallait faire le tour de mon histoire pour pouvoir la continuer. Une rotation que suivent les plus grands astres aux plus insignifiantes poussières.
On en revient toujours au final, au point de départ.
C’était logique que mon cycle s’achève, éblouissant les rares spectateurs par un dernier éclat.

L’ultime supernova.

Elle me brûle, me dévore, m’émerveille, écoute mes derniers soupirs… et milles crépitements la suivent. Meurtrière de ce qu’elle précipite, sa lente révolution en attirant de nouvelles dont il me semble compter chaque tourbillon, soubresaut d’une nouvelle ère, tranchant les fils d’espoir, implacable et cruelle. Les cendres ne seront que l’écho glacé de vœux échoués se noyant aussitôt dans l’immense voie lactée.
Celle qui n’aura jamais autant brillé : que ce soir là.
Ce nouveau moi qu’Elle, soudainement, éclaire. Et brûle.
D’un feu incandescent que tout consume, je crois bien que je change. Ce n’est pas grandir : c’est évoluer…
Sur cette route… que je ne croyais jamais pouvoir quitter.



II



« Mr Elontruvi ? C’est l’heure de vos soins. » Une voix surgissant des limbes, chaleureuse et posée, de celles qui savent ce qui doit être fait. Mon regard croise le sien. Elle est jolie cette infirmière, elle ne le sait peut-être que trop bien. Appliquant méthodiquement une surface souriante et polie, au mécanisme rôdé, tout terrain accidenté. Devenant pour un temps, la seule aspérité d’un quotidien que je tolèrerai.
Il y a des transformations radicales que l’homme doit subir pour changer. Il doit parfois mourir un peu, pour renaître à nouveau, parcourir cette route qu’il connait par cœur mais qu’il devra redécouvrir. Des mues douloureuses aux prix effroyables qui vous rappellent distinctement la valeur de ce que l’on fut sur le point de perdre… et celles des choses qu’on n’a jamais tentées. Par confort. Par facilité.
Sur un lit de gisant, on est confronté à cette réalité : ce qu’il reste de nous. Ce qu’il aurait resté.
La brulure fut si intense que mon cœur en reste marqué. Ce n’est pas une vie qui s’achève, mais un renouveau. Après avoir tourné si souvent sur cette même route, je découvre pour la première fois l’étincelle de cet autre moi, celui que je craignais de devenir, bridé par cette conformité dont je suis bien loin de me repentir.
La route est encore longue sous ce ciel constellé. Elle est identique à celle que des millions d’autres ont piétiné avant moi, que d’autres parcourront après.
Et pourtant, chaque jour nouvelle, comme cette lente révolution qu'accomplit le soleil, comme celle que j’esquissais cette fameuse nuit, maillon de cette chaine universelle à qui je croyais échapper.
Sur cette route… où je ne serai jamais…

… le dernier accidenté.



Cidiène
~~~

PS de l'auteur : Cette nouvelle avait été écrite à l'origine pour le concour franco/Belge de "La Fureur de Lire" dont le thème était : révolution. Malheureusement, l'histoire de l'histoire s'avèra maudite, et à chaque fois que je devais me poser pour continuer d'élaborer cette nouvelle, un imprévu, un impératif ou une obligation (qu'elle soit de nature amicale/familiale ou simplement de politesse) m'empêchait de l'achever. Si bien que je me suis retrouvée, à la lisière de la cloture du concour bien désemparée, sans ordi (car il a crashé et que celui qu'on m'a prêté refusait de marcher malgré l'archanement de Psycho), très préssée par le temps, et incertaine quant à la quantité minimum que j'avais pu fournir. Quoi qu'il en soit, malgré ses aléas, j'ai pu courir à une poste (et pas celle de dessous de chez moi), arrachant la promesse d'un cachet "du 22aout" qui me sauvait la mise (à défaut de vie), j'en remercie encore les hotesses (tout sourire) même si au final, il me manquait une ligne et demi. Je suis donc hors-concour mais l'essentiel étant: je suis allée au bout de ce concour. Même si je ne serai pas jugée.


Une révolution a plusieur sens (et continue de tourner dans tous). Il peut s'agir d'un changement radical et profond qui balaie les anciennes croyances pour en imposer des nouvelles sous les cendres encore chaudes des traditions... Comme il peut s'agir tout simplement de l'acte de rotation... ou du mouvement des planètes.
Revolution, du latin revolvere : retour en arrière.