29.6.09

Grande Guerre


« Vieillebranche, Louis !??
- Présent !! » que j'dis au sergent instructeur.
- C'est quoi cette dégaine Vieillebranche? On vous a pas mis au parfum?! Ici c'est pas les Folies Bergères srogneugneu! Va falloir que vous adaptiez et vite! Vous êtes crasseux et mal fagoté, si le général passe, vous êtes bon pour le tourniquet et ca sera bien fait pour vot' pomme!!! Capiche?
- M'sieur oui, m'sieur je réponds au vieux ».

Ca, ça arrivait tout les jours. Et ca allait durer 6 mois comme ça. Avant le feu, faut bien s'entraîner. S'entraîner à clamser? A survivre plutôt. Au front, ta clarinette « Lebel » made in St-Etienne, c'est ton assurance vie. Autant apprendre a s'en servir voyez-vous... Mais les boches étaient logés a la même enseigne. Pas de jaloux.
La formation qu'ils appelaient ça. Une vieille utopie, ils pensent que six mois de caserne en Normandie fera de nous des guerriers. On apprend sur le tas, pis v'la tout. Là, les vieux nous mettraient presque au mitard ou en cour martiale pour 3 poils de barbe en trop ou un complet mal taillé.
Dans les rangs, pas question de moufter, c'était dur, on ne plaisantait pas. Transformer les boches en passoire, ca méritait un apprentissage sérieux et appliqué disaient-ils... Pour la becquetance, on avait de la chance parait-il. On était plus mal nourris que chez nous, mais encore trop bien par rapport à ce que les gars du feu devaient ingurgiter. Fayots pourris, pinard de soldat... un menu de luxe comparé à la bouillie de boue, de sueur des tranchées de la Marne...

Les seuls bons moments que j'ai vécu dans cette formation, c'était les cibiches qu'on fumait le soir, dehors, après le diner. On se disait tout avec les autres gars. Nos cailles, nos enfants, la vie qu'on menait, à Clermont-Ferrand pour les uns, à Marseille pour d'autres. Et puis on pensait à la guerre. On allait bientôt la voir de près c'te guerre. On en causait.

« - Moi j'vous parie qu'en 6 mois on aura plié l'affaire ! Les boches, y font pas le poids, eux, l'arrosoire 75, ils l'ont pas ! » Disait un compatriote parigot.
- Ca va pas durer, la paix, ca sera pour bientôt... » ajouta un très naïf p'tit étudiant nantais...

Si on avait tous notre petit avis, on avait tous la frousse. Peur de finir la gueule en sang au premier assaut. Peur de laisser nos gonzesses seules avec les gniards, avec pour tout salaire, les oboles du ministère et le respect des bons bourgeois... Cette peur, elle se mélangeait avec un sentiment de devoir. La guerre, c'est notre turbin, la France, c'est notre taulier. C'est pour elle qu'on devait mourir. On était pas naïfs. On y allait parce que sinon, 12 pruneaux dans la couenne. Mais bon, certains, un peu lyriques -et donc un peu cons-, palabraient sur « la mission civilisatrice », ou en « les boches barbares qu'il fallait repousser, comme on repoussa les Huns ». Drôles d'idées...

Puis un jour, faut y aller. On nous appelle. Les noms sont beuglés à la queue-leu-leu par le gradés. On imagine a peine que peut-être dans 6 mois, les mêmes noms seront prononcés par le curé et le maire du bourg, précédés d'un laconique : « Mort pour la patrie »...

On saute tous dans la camions, qui nous emmène au boulot, là ou les choses sérieuses se passent. On fait pas les fierrots. On sait qu'on va souffrir. On regarde tous cette caserne s'éloigner au loin. Certains s'en roulent une pour se calmer et oublier. D'autres peuvent pas retenir leurs larmes.

La fleur au fusil?
La trouille au ventre.





Frank Jess

Notes : pour mon premier texte sur "Les Cris", j'ai décidé de faire un texte sur la Première Guerre Mondiale. Loin d'un quelconque pacifisme bêlant et pleurnichard, ce texte est, quelque part, un hommage a Henri Barbusse. A titre informatif, il s'agit de mon premier texte purement littéraire, et je ne réclame aucune indulgence...


2 commentaires:

  1. Essaime10:12 PM

    "Corneguidouille, par ma chandelle verte! Tudez, decervelez, le petit baton dans les oneilles!"
    Ca m'a fait pensé à ca le debut, c'est marrant!
    Enfin ca dure pas...

    La guerre c'est le mal!
    Vaut mieux se faire porter pale

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  2. Frank Jess11:58 PM

    Ah oui très bien vu! J'avais pas pensé a Alfred Jarry! Merci du compliment.

    Et oui la guerre c'est très moche. Autant être un bon P4 dans le contingent, ou sinon bah, être un gros planqué (genre dans le petit bureau gris a l'administration) comme W. Bush pendant la guerre du Vietnam hin hin hin...

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